Démarches proposées pour faire de la recherche en milieu nordique

Importance de l'engagement

S’engager dans une recherche en milieu nordique, c’est s’assurer de travailler en étroite collaboration avec les communautés, les gouvernements ou les organismes concernés, et ce, à toutes les étapes de la recherche. Un suivi constant est à privilégier, tout au long du processus. Plusieurs ouvrages soulignent ces deux aspects. D’abord, dans un document produit par le Gouvernement de la nation crie, il est clairement indiqué que toute recherche doit assurer la pleine participation des Cris. Cette recommandation est aussi inscrite au sein du Guidelines for Research in the Nunavik Region de la Société Makivik. Finalement, le Protocole de recherche des Premières Nations au Québec et au Labrador met l’accent sur la collaboration entre chercheurs et communautés autochtones en soulignant « […] l’importance pour les Premières Nations de participer et de collaborer de manière active à toutes les étapes d’une recherche menée dans leur milieu ». Il va sans dire, à la lumière de ces exemples, que, tant chez les Premières Nations que chez les Inuit, cet engagement de l’un envers l’autre dans la réalisation d’une recherche s’avère essentiel et assure ainsi l’accomplissement et le succès du projet de recherche. 

La Société Makivik suggère pour sa part de diviser la recherche en différentes étapes et d’effectuer des retours auprès de la communauté à la suite de chacune de celles-ci, soit de l’élaboration du projet, en passant par la cueillette des données, l’analyse et la validation des résultats, jusqu’à la diffusion des résultats. Cela permet autant aux chercheurs qu’aux gens de la communauté de voir l’avancement de la recherche et d’apporter des ajustements en cours de route. La flexibilité est de mise de la part des deux parties.

Les chercheurs doivent également être conscients que ce processus impose un important fardeau aux communautés qui n’ont pas toujours la capacité et les ressources pour profiter adéquatement de cette collaboration. Les chercheurs doivent donc travailler pour minimiser ce poids tout en maintenant une collaboration efficace et utile. 

Savoir-être en milieu nordique

Favoriser une approche basée sur la communauté (community-based approach) peut certainement aider les chercheurs à s’engager pleinement dans le milieu. Cette approche vise simplement, en tant que « nouvel arrivant », à prendre le temps de connaître les gens, de se présenter à eux et de démontrer de l’intérêt pour leurs réalités, tout cela dans l’optique de mieux comprendre leur culture.

Le ou la chercheuse doit s’assurer d’adopter une attitude appropriée et doit garder en tête qu’il est un « visiteur » en territoire autochtone et nordique. Plutôt que d’imposer ses façons de faire, il doit s’ouvrir à celles des communautés. Prendre le temps qu’il faut pour nouer des liens est un gage de succès, car le rythme de vie cyclique propre aux cultures autochtones doit être respecté. 

L’honnêteté, l’ouverture d’esprit, la patience, l’écoute et la reconnaissance sont des attitudes à développer et à mettre en pratique lorsqu’un ou une chercheuse, un ou une étudiante et un organisme s’engagent auprès d’une communauté autochtone afin de réaliser une recherche.

Points de départ

La prise de contact est une étape cruciale qui doit être bien préparée par le chercheur. Avant de contacter qui que soit, effectuer une revue de la documentation scientifique sur le sujet de la recherche (incluant celle provenant des organismes autochtones) s’impose, voire suivre un cours d’introduction à propos des cultures autochtones. Cela permet au chercheur ou à la chercheuse de constater où s’inscrit son sujet dans le corpus déjà existant. Cela démontre également son sérieux. Cette revue de la documentation doit aussi prendre en compte le contexte social, politique et institutionnel au sein duquel la recherche s’insère. Elle devrait également inclure les différents protocoles de recherche déjà existants au sein du peuple autochtone concerné et permettre au chercheur ou à la chercheuse d’élaborer une stratégie de mise en oeuvre de ces protocoles. Le ou la chercheuse doit également être conscient que la documentation recensée provient en grande partie du monde scientifique occidental, ce qui est en soi un biais par rapport aux savoirs autochtones. La revue de la documentation se veut donc une première démarche scientifique, mais elle doit s’effectuer en complémentarité avec les savoirs et informations relatives aux peuples autochtones. L’adoption d’une attitude humble et prudente face à ses propres schèmes d’interprétation est bien utile à la mise en complémentarité des connaissances autochtones et des savoirs constitutifs du patrimoine scientifique occidental.

En plus de la revue de la documentation, une description du projet présentant diverses méthodologies de recherche est un atout important dans la préparation de ce premier contact. Cela permet de bien situer le sujet de recherche, les intentions du chercheur ou de la chercheuse et de définir l’espace éthique pour les discussions avec la communauté afin d’identifier ses besoins dans le cadre du projet de recherche. Ainsi, lorsque le ou la chercheuse contactera le gouvernement local ou régional, le conseil de bande, la municipalité ou un organisme de la communauté ou de la région, il devra faire preuve d’ouverture et de volonté de coconstruire les objectifs et la méthodologie de recherche à privilégier selon le contexte, en plus des connaissances préalables qu’il aura rassemblées au cours de sa recherche préliminaire. Bien que ce ne soit pas toujours le cas et que les fonds de recherche ne permettent pas toujours de le faire, il est conseillé que tout étudiant (de 1er, de 2e ou, dans certains cas, de 3e cycle provenant d’universités de toutes les régions du monde) soit accompagné de son directeur (ou codirecteur) de recherche lors de la ou des premières rencontres avec les instances autochtones concernées. Lors de ses premiers échanges avec la communauté, le ou la chercheuse doit également mentionner les sources de financement de son projet et discuter de la confidentialité de ses données.

Ces premières étapes accomplies, le ou la chercheuse a le devoir de valider son protocole de recherche avec les partenaires de la recherche et de le faire analyser par un Comité d’éthique de la recherche (CÉR).

Un CÉR est plus précisément une instance créée afin d’évaluer l’acceptabilité d’un projet de recherche qui lui est soumis. Il est composé de personnes possédant des expertises diversifiées (connaissances écologiques traditionnelles, savoir-être et savoir-faire, savoirs universitaires et scientifiques, représentants locaux, communautaires et politiques, et toute autre personne dont l’expertise est jugée pertinente en contexte autochtone).

On retrouve des CÉR notamment dans les milieux universitaires et une structure similaire chez quelques organismes autochtones (tels que le Centre de gouvernance de l’information des Premières Nations). De même, certaines communautés autochtones ont aussi leurs propres lignes directrices et/ou comité d’éthique, tel Mashteuiatsh et Kahnawake. Il importe donc au chercheur ou à la chercheuse de tenir compte des instances existantes sur le territoire concerné tout en respectant les exigences règlementaires de l’Énoncé de politique des trois Conseils : Éthique de la recherche avec des êtres humains. Lorsque le projet n’implique pas de sujets humains, les chercheurs n’ont généralement pas à demander de certificat éthique de leur université. Toutefois, si leur projet a lieu sur le territoire d’une nation autochtone, même si aucun sujet humain n’est interrogé, le ou la chercheuse devrait demander l’appui des communautés, gouvernements ou organisations autochtones présents avant de débuter leur projet.

Méthodologie

D’abord, le ou la chercheuse, de concert avec les partenaires autochtones, doit s’assurer de « choisir une méthodologie de recherche respectueuse des conditions prescrites par la communauté autochtone en tenant compte des valeurs et des savoirs ». La méthodologie privilégiée doit ensuite être présentée à la communauté.

Plusieurs méthodologies de recherche existent; une méthodologie ne prédomine pas sur les autres. Cependant, l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador et l’Association de femmes autochtones du Québec suggèrent l’utilisation de la recherche active participative (RAP), méthode privilégiée en contexte autochtone pour son caractère collaboratif. La RAP se définit comme étant une approche coconstructiviste basée sur un partenariat entre peuples autochtones et chercheurs.

La RAP s’est construite sur la mobilisation et le partage des connaissances, la responsabilité partagée du projet de recherche et l’engagement communautaire. La RAP a comme objectif de donner le pouvoir aux communautés à travers la mobilisation et l’utilisation de leur propre expertise. Ce processus se fait avec l’implication et la collaboration de toutes les parties prenantes.

Une fois la cueillette de données et l’analyse terminées, l’interprétation des résultats doit être validée auprès de la communauté concernée avant toute publication. Tel que l’explique Schnarch, « [as] with academic review, a First Nations review process is generally intended to ensure quality of the work, its relevance, and the appropriateness of interpretation. The review should be viewed as an opportunity rather than a threat. The definition of peer needs to be broadened ». La validation des résultats doit alors être vue comme une opportunité d’échange où plusieurs interprétations des mêmes résultats peuvent être valables et coexister, par exemple lors de la tenue de groupes de discussion. S’il y a divergence dans l’analyse des résultats, les chercheurs doivent inclure le point de vue des peuples autochtones dans leurs publications. À tout moment, les communautés et les intervenants concernés doivent avoir la possibilité de se dissocier des résultats ou de l’analyse réalisée par les chercheurs.

Cette validation peut se faire de plusieurs façons, par la participation de chercheurs autochtones à l’analyse des résultats, par la consultation des communautés concernées, par l’envoie des résultats préliminaires et la consultation des personnes interrogées, etc. Dans tous les cas, il faut s’assurer que les méthodes de communication utilisées par le ou la chercheuse soient appropriées et compatibles avec la communauté ou l’organisme (langues d’usage, outils visuels, documents écrits, vulgarisation, etc.). Entre autres, il est important que les chercheurs ne généralisent pas de manière excessive leurs résultats afin d’éviter que les chercheurs attribuent les propos de quelques participants à l’ensemble de la communauté ou de la nation.

Résultats de la recherche

Trop longtemps, les communautés autochtones ont accueilli des chercheurs sans pouvoir participer aux projets de recherche et sans recevoir de bénéfices à la fin du travail accompli. À présent, les résultats de la recherche, dans l’optique d’une démarche collaborative, se doivent d’être validés par les communautés concernées, mais également d’être bénéfiques pour ces dernières. Les chercheurs doivent transmettre leurs résultats aux communautés concernées, mais également s’assurer que la recherche serve à la mobilisation et au renforcement des communautés.

Ces résultats doivent être diffusés de façon appropriée en contexte nordique. Pour ce faire, les chercheurs doivent prendre en compte les différentes méthodes de communication utilisées par les communautés autochtones. L’Inuit Tapiriit Kanatami et le Nunavut Research Institute énumèrent plusieurs méthodes, en soulignant l’importance d’établir une stratégie de communication pour la diffusion des résultats dont, entre autres, l’utilisation des émissions de radio locales et régionales, la création d’affiches, la création de brochures ou de bulletins de nouvelles, l’utilisation des réseaux sociaux et la publication de résumés du projet dans les langues appropriées.

Il est donc primordial que les chercheurs s’assurent de prévoir les fonds et le temps nécessaire à la diffusion de leurs résultats de recherche. Ils doivent pouvoir traduire leurs documents et les transmettre de manière vulgarisée aux communautés concernées.

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