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Pleins feux sur la recherche nordique | Décoder la génomique de la glace

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Un article de Valérie Levée, journaliste scientifique

Comme l'arbre qui cache la forêt, l'ours polaire est au Nunavut, l'animal qui cache la biodiversité arctique. Le blanc plantigrade n'est en effet pas le seul à subir les effets des changements climatiques, les microorganismes aussi et ils sont à la base des écosystèmes, des ressources des communautés nordiques et potentiellement un réservoir de gènes utiles pour la médecine. Catherine Girard, professeure au Département des sciences fondamentales, de l’Université du Québec à Chicoutimi, s'est donné comme objectif de recherche d'établir le portrait de la microbiodiversité de la cryosphère arctique, d'en suivre l'évolution avec les changements climatiques et quelles en seraient les conséquences pour les communautés nordiques.

Portrait de Catherine Girard (UQAQ)
Catherine Girard, professeure en microbiologie au Département des sciences fondamentales de l'UQAC.

La cryosphère englobe les habitats gelés comme les glaciers, la banquise, la neige, le pergélisol et elle est pleine de vie. Même sur les glaciers, « on peut mesurer la respiration bactérienne et il y a de la photosynthèse. Parfois, les glaciers se couvrent de rouge à cause des pigments photosynthétiques de certaines cyanobactéries », dépeint Catherine Girard. Mais avec le réchauffement climatique, les glaciers fondent, le pergélisol dégèle et les microorganismes de la cryosphère, libérés de leur habitat glacé, se retrouvent dans l'eau de fonte, voire dans des aérosols. « Ce qui m'intéresse est de comprendre comment la cryosphère relâche des microorganismes vers le reste du paysage. Tous ces microorganismes débarquent en aval dans une niche déjà occupée par d'autres », poursuit Catherine Girard.

Sortis de l’environnement glacé auquel ils sont adaptés, les microorganismes de la cryosphère ne trouveront peut-être pas des conditions viables pour eux. Auquel cas, ce serait une perte de la microbiodiversité. Or « la microbiodiversité a autant de valeur que la macrobiodiversité, assure Catherine Girard. Elle fait partie du patrimoine vivant. Si les habitats glacés disparaissent, des microorganismes ne seront plus là et leur génome recèle beaucoup d'informations sur l'évolution bactérienne. C'est aussi un réservoir de gènes avec des potentiels pour développer de nouvelles technologie ».

Mais certains microorganismes de la cryosphère pourraient survivre dans leur nouvel habitat au risque d'en modifier l'équilibre écosystémique et d'en altérer la qualité des ressources pour les communautés nordiques. « Les microorganismes changent la base du réseau trophique et ça peut entrainer des répercussions sur les ressources de poissons », illustre la professeure. Les Inuit ont aussi coutume de faire leur thé avec de l’eau prélevée dans ces milieux naturels mais quelle sera la qualité de cette eau ?

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Échantillonnage de l’eau du lac dans lequel se déverse un glacier. Crédit: Catherine Girard

C'est pour répondre à ces questions qu'avec son équipe de recherche, elle récolte des échantillons de glace, de neige, d'eau de fonte, d’eau de lac, de rivières et d'aérosols pour en récolter les microorganismes et les passer au crible de la génomique. Elle veut dresser l'inventaire et quantifier les espèces microbiennes et virales présentes dans la glace, l'eau de fonte, les aérosols, l'eau du lac et comprendre la connectivité entre ces différents milieux. Elle envisage aussi de modéliser ces déplacements de la microbiodiversité en fonction de données météorologiques et des changements climatiques. C'est son rêve et comme Catherine Girard est en début de carrière, elle a le temps de le réaliser.

L’art de collaborer avec les communautés nordiques

Ce projet de recherche n’est pas seulement celui de Catherine Girard. Bien sûr, elle collabore avec d’autres scientifiques et notamment, Alexander Culley, Warwick Vincent et Caroline Duchaine. Mais surtout, ce projet est aussi celui de leurs collaborateurs de Resolute Bay. La professeure n’est pas venue du sud pour leur présenter son projet de recherche déjà ficelé. Elle l’a développé avec eux.

« Les Inuit ont une réticence à accueillir les scientifiques et à répondre à leurs questions comme s’ils étaient des objets de recherche », témoigne Elise Imbeau qui vit au Nunavut et travaille comme agente de support à la science pour son entreprise Viventem.

elise imbeau
Elise Imbeau, agente de support à la science au Nunavut.

Amenée à collaborer avec Catherine Girard, elle a pu constater son habileté à interagir avec les communautés nordiques. Il faut dire que depuis son baccalauréat en 2009, Catherine Girard tisse des liens avec les gens de Resolute Bay. « Elle s’est fait des amie et elle a pris le temps d’être là à son naturel et non comme la scientifique qui monte pour montrer des choses », relate Elise Imbeau. « Je passe beaucoup de temps dans la communauté et je vois les soucis émerger dans les conversations. On peut laisser la science se dévoiler à nous et les projets nous apparaissent », confie Catherine Girard.

Pour parler de science, Catherine Girard sait aussi trouver les mots pertinents car il ne suffit pas de vulgariser la science comme on le ferait en s’adressant au grand public. « Les scientifiques doivent comprendre que leurs histoires de biologie moléculaire n’intéressent pas tout le monde. Il faut trouver des référents culturels », souligne Elise Imbeau. Par exemple, parler simplement de la place du zooplancton dans la chaine alimentaire n’interpellera pas nécessairement les Inuit. Ils le seront davantage si on leur dit que le zooplancton est la nourriture des poissons, que du zooplancton de bonne qualité donnera du poisson plus riche qui gardera les gens en santé. Catherine Girard avait alors le défi d’insérer sa recherche sur la génomique virale et bactérienne dans le référent culturel des Inuit. « C’est ce qui est remarquable. Catherine a réussi à intéresser les gens avec ses histoires d’ADN. C’est plus facile pour les scientifiques qui travaillent sur le caribou d’intéresser les communautés », compare Elise Imbeau.

Catherine Girard ne fait pas qu’intéresser les Inuit à sa recherche. Elle monte les projets de recherche, écrit les demandes de subvention avec eux puis les engage pour participer aux travaux de laboratoire ou de terrain. « Nos collaborateurs du Nord ont une connaissance incroyable du terrain et peuvent nous indiquer des points d’échantillonnage intéressants. On bénéficie énormément de ce partage de connaissances traditionnelles. Ce sont des chercheurs autant que moi, insiste-t-elle. La recherche doit répondre aux questions et aux enjeux de leur communauté. Ils sont chez eux et c'est eux qui ont une relation intime avec le territoire et la cryosphère, pas moi ».


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Affiliations de la chercheuse Catherine Girard:


pleins feuxPleins feux sur la recherche nordique | Une initiative de l'Institut nordique du Québec

Pour célébrer l’excellence en recherche nordique du Québec et mettre en lumière les divers défis et enjeux liés à ces territoires, l’Institut nordique du Québec vous offre une série d’articles consacrée à la recherche menée au sein de sa communauté. 

À travers ces articles vulgarisés, vous découvrirez une communauté de recherche multidisciplinaire dont la force repose sur la complémentarité des expertises détenues par ses membres. Vous rencontrerez des individus partageant un vif attachement pour le Nord et dédiés à produire, de paire avec les habitants de ces régions, les connaissances nécessaires à son développement durable et harmonieux.

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Photo en en-tête de l'article (glacier)  Site d’échantillonnage de la glace du glacier et de l’eau de fonte du glacier par Catherine Girard.

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