Le défi de la carboneutralité au Nunavik
Un article de Valérie Levée, journaliste scientifique
Construire un bâtiment carboneutre dans le sud du Québec est déjà un défi, imaginez au Nunavik. C’est pourtant un objectif visé par Louis Gosselin, professeur au Département de génie mécanique de l’Université Laval.
Au Nunavik, les bâtiments sont alimentés par de l’énergie fossile. L’électricité est produite par des centrales au diesel et le chauffage de l’air et de l’eau domestique est assuré par des fournaises au mazout. Cet approvisionnement fossile combiné au climat froid pèse lourd sur l’empreinte carbone des bâtiments de sorte que réduire la consommation d’énergie est une condition sine qua non pour atteindre la carboneutralité. La Société d’habitation du Québec (SHQ) a justement construit à Quaqtaq un jumelé prototype à haute efficacité énergétique. C’est à partir de ce prototype que Louis Gosselin a coordonné la participation canadienne au projet Zero Arctic du Conseil de l’Arctique qui consistait à concevoir un bâtiment carboneutre en Arctique. L’exercice était théorique et revenait à ajouter différentes options de panneaux photovoltaïques au bâtiment et à simuler la consommation énergétique pour en déduire l’empreinte carbone. En bardant au maximum le bâtiment de panneaux solaires, les simulations arrivent à une réduction de 98 % des émissions de GES par rapport à un jumelé standard du Nunavik. L’objectif semble quasiment atteint, mais ce bâtiment théorique comporte deux écueils qui compromettent la concrétisation de la carboneutralité en Arctique. D’une part, le bâtiment n’est pas autonome et doit rester connecté sur le réseau électrique local pour combler les besoins non fournis par les panneaux solaires ou au contraire transférer au réseau son électricité excédentaire. « Dans un village de 400 habitants comme Quaqtaq, si tous les bâtiments sont équipés de panneaux photovoltaïques, les génératrices diesel du réseau ne seront pas capables de gérer ces entrées et sorties. Il y a une pénétration limite des énergies renouvelables sur les micro-réseaux », observe Louis Gosselin. D’autre part, certaines réalités échappent à la simulation énergétique et notamment, le comportement des personnes dans leur logement.
Plus près de la réalité
Pour mieux saisir la réalité, Louis Gosselin a mené avec son équipe de recherche plusieurs projets pour quantifier la consommation énergétique des bâtiments au Nunavik. Le prototype de la SHQ ne comporte pas de panneaux solaires, mais présente quand même une version améliorée des jumelés classiques qui composent le parc immobilier du Nunavik. Les murs, le toit et le plancher sont mieux isolés et le bâtiment dispose d’un système de ventilation mécanique pour renouveler l’air alors que dans les jumelés plus anciens, l’aération se fait en ouvrant les fenêtres. Le prototype et cinq jumelés ont été équipés de capteurs pour suivre la consommation d’énergie liée au chauffage de l’air et de l’eau, la consommation d’électricité, la qualité de l’air et l’ouverture des fenêtres.
Le prototype se démarque notamment en ce qui concerne la qualité de l’air intérieur. Grâce à la ventilation mécanique, la concentration moyenne en CO2 est de 452 ppm alors qu’elle est de 787 ppm dans les jumelés standard. En contrepartie, la ventilation mécanique a probablement pour effet d’assécher l’air, car l’humidité relative moyenne dans le prototype est de 18 % contre 26 % dans les jumelés standard. La ventilation mécanique a aussi pour effet d’augmenter la consommation d’énergie. « On amène de l’air neuf à l’intérieur, mais il faut le chauffer et le système de ventilation apportait peut-être trop d’air par rapport aux besoins réels », commente Louis Gosselin. En conséquence, la consommation d’énergie du prototype est similaire à celle des autres jumelés étudiés. La demande d’énergie pour le chauffage n’est pas améliorée non plus malgré l’isolation thermique supérieure et l’explication pourrait résider dans l’ouverture des fenêtres. « On observe que beaucoup de fenêtres au Nunavik sont ouvertes même quand il fait très froid à l'extérieur et on essaie maintenant de comprendre pourquoi les gens ouvrent la fenêtre, pour savoir si c'est lié à la température, à l'humidité, à la teneur en CO2 », rapporte Louis Gosselin. À leur défense, les habitants du Nunavik ne sont pas les seuls à ouvrir les fenêtres en hiver comme l’a montré une expérience similaire menée sur un bâtiment de la Cité verte à Québec.
Comprendre les besoins et le comportement des occupants
Au-delà de la performance énergétique du prototype, l’étude a surtout révélé la grande variation de consommation entre les 6 jumelés. La consommation dépend en effet du nombre de personnes par logement et de leurs comportements et là encore, l’expérience menée à la Cité verte avait aussi montré une grande variation de la consommation d’un logement à l’autre.
« C’est assez classique que les occupants n’utilisent pas leur logement comme on pensait qu’ils le feraient. Surtout quand les solutions ont été développées au sud et envoyées au nord. Si l'occupant fait quelque chose qu'il n'était pas supposé faire, c'est que visiblement, on n’a pas compris son besoin. Comme concepteur, il faut être capable de comprendre les besoins et faire en sorte que ce soit les Inuit qui développent les solutions dont ils ont besoin », estime Louis Gosselin.
L’influence du comportement des occupants fait qu’il est difficile de statuer sur l’efficacité énergétique du prototype. « Il n’y a qu’un seul bâtiment et selon le comportement des occupants, cela change le profil de consommation », note Louis Gosselin. Des améliorations sont sans doute possibles du côté de l’isolation et des équipements mécaniques, mais la carboneutralité d’un bâtiment dépendra aussi du comportement des occupants. Le défi pour simuler la consommation énergétique du bâtiment sera alors de mettre ce comportement en équation.
En savoir plus
Sustainable Development Working Group (2020) Zero Arctic: Concepts for carbon-neutral Arctic construction based on tradition
https://oaarchive.arctic-council.org/handle/11374/2541
Photo de couverture par Antoine Paquet
Les alignements de jumelés et de poteaux électriques dans une rue de Kangiqsualujjuaq
Actualité scientifique
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