couverture visuel de l'article du mois de mars 2023 - actualité scientifique

L'Arctique sous l'œil des satellites

Publié le

Un article de Valérie Levée, journaliste scientifique

2008, les agences spatiales ouvrent gratuitement leurs données satellitaires et la télédétection entre dans une nouvelle ère. Pour Alexandre Roy, professeur au Département des sciences de l’environnement de l’UQTR, titulaire de la chaire de recherche CR UQTR en télédétection nordique et chercheur affilié à l'Institut nordique du Québec, c’est une fenêtre ouverte pour voir l’Arctique vu du ciel et mieux comprendre comment il se transforme sous l’effet des changements climatiques.

Vu de l’espace, l’Arctique verdit. « Les images du programme Landsat de la NASA le montrent, on voit un verdissement généralisé dans les régions nordiques depuis les 30 dernières années », indique Alexandre Roy. Ce n’est pas la ligne d’arbres qui monte vers le nord, mais plutôt une « arbustation », c’est-à-dire une prolifération d’arbustes, surtout dans la zone de transition entre la taïga et la toundra.

Le Nord verdit
Le phénomène « d’arbustation » se traduit par une croissance de petits arbustes de plus en plus étendue.

Si le Nord verdit, c’est parce que les températures augmentent, que les printemps sont plus hâtifs et les automnes plus tardifs. Pour les plantes, cela veut dire un allongement de la saison de croissance et une activité photosynthétique qui commence plus tôt au printemps et s’étire à l’automne. A priori, c’est une bonne nouvelle pour la captation du CO2 atmosphérique. Ces espaces qui verdissent pourraient devenir des puits de carbone. Mais cela ne durera peut-être pas, car, explique Alexandre Roy,

 

« s’il fait chaud, c’est bon pour la végétation, mais s’il y a plus de végétation, l’évapotranspiration augmente et il pourrait y avoir un stress hydrique et donc une limite à la croissance de la végétation ».

Difficile alors de prédire si le Nord sera un puits ou une source de carbone. Cette incertitude s’ajoute au dégel du pergélisol dont on ne sait pas vraiment comment il affectera les flux de carbone. Pour y voir plus clair, Alexandre Roy regarde l’Arctique avec les yeux de satellites équipés de capteurs micro-ondes.

Les images Landsat prises dans la portion visible du spectre électromagnétique révèlent le verdissement, mais restent muettes quant aux propriétés du sol. Heureusement, les micro-ondes qui s’étirent du millimètre au mètre sont plus bavardes et les capteurs micro-ondes offrent un fort potentiel pour la mesure de l’humidité dans le sol, c’est-à-dire l’eau contenue dans les sols et possiblement disponible pour les plantes.  

Déjà, durant son stage postdoctoral, Alexandre Roy avait exploité les données micro-ondes du satellite SMAP (Soil Moisture Active Passive) lancé en 2015 par la NASA et du satellite SMOS (Soil Moisture Ocean Salinity) lancé par l’agence spatiale européenne en 2009. Des mesures de terrain permettent maintenant à son équipe de valider et calibrer les mesures d’humidité du sol avec les données de SMAP et de SMOS. Azza Gorrab, stagiaire postdoctorale, et les étudiants au doctorat Juliette Ortet et Hesam Salmabadi travaillent sur ce projet. Une fois bien validée, cette méthode sera utilisée à plus grande échelle pour vérifier s’il se produit un assèchement dans l’Arctique.

Regarder sous et dans la neige

Les micro-ondes ne traversent pas seulement les nuages. « Pour les très longues micro-ondes, par exemple en bande L, la neige est transparente et on peut mesurer les caractéristiques du sol sous la neige », explique Alexandre Roy. Or, Alex Mavrovic, étudiant au doctorat a démontré que du CO2 s’échappe du pergélisol même pendant l’hiver quand le sol est gelé. Comme ces émissions hivernales dépendent de la température du sol, c’est maintenant Juliette Ortet qui prend le relais et qui s’attèle à exploiter les données micro-ondes satellitaires pour mesurer la température du sol sous le couvert neigeux et quantifier le carbone émis par le pergélisol en hiver.

Par contre, les micro-ondes de la bande L étant insensibles à la neige, elles ne peuvent pas mesurer l’épaisseur de la couche de neige. Il faut pour cela utiliser des micro-ondes plus courtes, avoisinant la taille des grains de neige. Les satellites ne sont pas équipés pour faire des mesures dans ces longueurs d’onde, mais la mission Terrestrial Snow Mass Mission de l’Agence spatiale canadienne prévoit d’y remédier, et Alexandre Roy participe à cette mission, en collaboration avec l’Université de Waterloo. Mais avant d’envoyer un satellite, la méthode doit être validée et c’est le projet de doctorat d’Alex Gélinas. Il faut, pour cela, mesurer sur le terrain l’épaisseur de la neige et la corréler avec les mesures prises par un radar aéroporté. Alexandre Roy et son équipe ont ainsi passé trois jours fin février à mesurer des hauteurs de neige. « On utilise le même radar qui sera sur le satellite, mais on le met à bord d’un avion. Pendant trois jours, on a mesuré la neige pour confirmer que ce que le radar voit est la bonne quantité de neige », raconte le chercheur.

Toutes ces mesures de télédétection peuvent ensuite alimenter des modèles écosystémiques qui calculent les flux de carbone entre la surface de la Terre et l’atmosphère et évaluer si l’Arctique sera un puits ou une source de carbone. Le Nord n’est plus ce qu’il était et nous ne savons pas encore de quoi il sera fait demain, ni quel rôle il jouera dans les changements climatiques, mais la télédétection devrait permettre à Alexandre Roy d’apporter quelques éléments de réponses.


Un peu de lecture pour aller plus loin

1. Bayle, A., Roy, A., Dedieu, J.-P., Boudreau, S., Choler, P., and Lévesque, E. (2022) Two distinct waves of greening in northeastern Canada: summer warming does not tell the whole story, Environmental Research Letters, 17: 064051  

https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/ac74d6 

 

2. Royer, A., Domine, F., Roy, A., Langlois, A, Marchand, N., and Davesne, G. (2021) New northern snowpack classification linked to vegetation cover on a latitudinal mega-transect across Northeastern Canada, Ecoscience,28: 225-242  

https://doi.org/10.1080/11956860.2021.1898775 

 

3. Derksen, C., Lemmetyinen, J., King, J., Belair, S., Garnaud, C., Lapointe, M., Crevier, Y., 

Burbidge, G. and Siqueira, P. (2019,). A Dual-Frequency Ku-Band Radar Mission 

Concept for Seasonal Snow.    

IGARSS 2019 - 2019 IEEE International Geoscience and Remote Sensing Symposium, 5742-5744. 


pleins feuxActualité scientifique 

Pleins feux sur la recherche nordique | Une initiative de l'Institut nordique du Québec

Pour célébrer l’excellence en recherche nordique du Québec et mettre en lumière les divers défis et enjeux liés à ces territoires, l’Institut nordique du Québec vous offre une série d’articles consacrée à la recherche menée au sein de sa communauté. 

À travers ces articles vulgarisés, vous découvrirez une communauté de recherche multidisciplinaire dont la force repose sur la complémentarité des expertises détenues par ses membres. Vous rencontrerez des individus partageant un vif attachement pour le Nord et dédiés à produire, de paire avec les habitants de ces régions, les connaissances nécessaires à son développement durable et harmonieux.

Vous êtes invités à relayer ces articles à travers votre réseau afin de faire découvrir au plus grand nombre les différentes facettes de la recherche nordique et les multiples visages qui l’animent. Ensemble pour le Nord!

©2024 Institut nordique du Québec, tous droits réservés.