Le territoire comme trait d’union
Un article de Valérie Levée, journaliste scientifique
Les relations entre Autochtones et allochtones ne sont pas que tensions et conflits. La bonne entente peut aussi exister et c’est ce que révèle le projet Territoire Mamuapuat (qui signifie habiter ensemble en langue innue) proposé par Nathalie Lapierre, une citoyenne engagée de Natashquan, et développé en partenariat avec Laurie Guimond, professeure au Département de géographie de l’UQAM et chercheuse affiliée à l'Institut nordique du Québec.
Ce projet est bien né dans la tête de Nathalie Lapierre qui travaille depuis plusieurs années en étroite collaboration avec la communauté innue voisine de Nutashkuan. Elle a ensuite sollicité des partenaires innues ainsi que la professeure pour sa concrétisation. « C’est l’exemple d’un projet né dans la communauté et qui a transigé par l’UQAM », évoque Laurie Guimond, qui elle-même travaille depuis une vingtaine d’année en Minganie sur la Côte-Nord. Nathalie Lapierre déplorait qu’on fasse grand bruit des tensions régnant entre les communautés et voulait au contraire mettre en lumière les bonnes ententes qui s’établissent également. Le projet s’est ensuite développé en partenariat avec Yvonne Mesténapéo et Vicky Bellefleur de Nutashkuan, ainsi que Caroline Einish de la nation Naskapie de Kawawachikamach et d’autres partenaires, dans l’objectif de mieux comprendre les dynamiques de cohabitation inter-communautés et d’identifier les facteurs de synergie. Pour diffuser les résultats de recherche, le projet incluait aussi la production de courts métrages. « Toute la démarche a été réalisée selon les principes éthiques de respect, de transparence, de dialogue et d'honnêteté, fortement inspirée du Protocole de recherche des Premières Nations du Québec et du Labrador », assure Laurie Guimond. Étant géographe, elle s’intéresse à la cohabitation interculturelle dans les milieux de vie du Nord que sont les communautés, mais aussi sur les territoires ancestraux. Mais là encore, Nathalie Lapierre lui avait soufflé ce questionnement. « Elle disait qu’en communauté, il y des tensions et les gens ne se voisinent pas, alors que sur le territoire, on est plus proche les uns des autres », rapporte Laurie Guimond, « on veut savoir pourquoi les relations sont meilleures dans le territoire que dans les communautés où les relations sont plus pragmatiques ».
Les trois cas d’études illustrés dans les court-métrages
Une incursion sur le chemin du 5è, ancien chemin forestier fréquenté par les allochtones de Natashquan et les Innus de Nutashkuan permet de mieux comprendre les dynamiques interculturelles par le truchement des activités de chasse, de pêche, de cueillette de petits fruits ou de ressourcement.
À Unamen Shipu et à La Romaine, le rachat des quotas de pêche des pêcheurs allochtones par les gouvernements et leur revente à la communauté innue pour son développement économique et social avaient créé des tensions. Les Innus d’Unamen Shipu ont embauché des pêcheurs de La Romaine pour les former et ils travaillent maintenant ensemble. Ici aussi, c’est l’accès aux ressources du territoire et l’activité de pêche qui ont rapproché les communautés.
Le cas de l’écocentre Tricomm offre l’exemple d’un rapprochement entre les Naskapis de Kawawachikamach, des allochtones de Schefferville et des Innus de Matimekush-Lac John. « Les trois communautés se sont mobilisées et sont passés par-dessus leurs différents pour aller chercher des subventions, créer l'écocentre Tricomm et exporter les matières résiduelles dangereuses comme les batteries, les peintures, le matériel informatique. Auparavant, ces matières dangereuses étaient brûlées dans le dépotoir. Elles sont maintenant chargées sur le train et envoyées au sud pour être disposées de façon éco-responsable », décrit Laurie Guimond.
À la recherche du liant interculturel
Pour mener enquête auprès des communautés, des étudiantes à la maitrise du Département de géographie et des Innus formés à la recherche sont allés sur le terrain à la rencontre des acteurs-clés locaux et des citoyens. Elles ont mené des entrevues individuelles, participé à des groupes de discussion ou pris part à des observations participantes. « Les observations permettent de mettre en contexte les propos des personnes interrogées, et d’être témoin des dynamiques relationnelles entre les communautés », précise Laurie Guimond.
Il en ressort que « c'est le territoire qui est au cœur des relations. Dans le Nord, le territoire est occupé et vécu de manière assez comparable qu'on soit allochtone ou autochtone. Les mêmes activités comme la chasse, la pêche, la cueillette sont pratiquées et cela devient un liant entre les nations », commente Laurie Guimond. Ce n’est donc pas dans les communautés proprement dites que se produisent ces rapprochements, mais dans le territoire. Même dans le cas de l’écocentre Tricomm, le territoire est à l’origine du rapprochement, car c’est la volonté d’avoir un territoire sain, d’en réduire les sources de pollution, qui a réuni les trois communautés.
La recherche a aussi permis de mieux comprendre les facteurs de tension qui persistent entre les communautés, notamment engendrées par les usages du territoire. Elle apporte un nouveau regard sur les relations intercommunautaires. « Les relations sont peu documentées sur les territoires du quotidien », fait-elle remarquer. Elle ajoute qu’au jour le jour, les Nord-Côtiers allochtones et autochtones partagent des services et doivent établir des ponts même si les systèmes de gouvernance différents les séparent.
Bientôt à l’écran
Ces trois exemples de cohabitation sont mis en images par Les Productions perceptions 3i, toujours en partenariat avec les communautés. Mamuku Meshkanat Ensemble sur le chemin, qui raconte l’histoire du chemin du 5è, a été présenté en avant-première aux communautés à l’automne 2022, puis le 12 février au Festival du film de Sept-Îles Ciné Sept. Les deux autres courts-métrages sont en voie de finalisation. La diffusion de ces trois films pourrait contrebalancer l’image souvent négative des relations entre les personnes autochtones et allochtones.
Pour aller plus loin
Guimond, L., Lapierre, N., Mesténapéo, Y., Couture-Cossette, M. et Bellehumeur, C. (sous presse). Mamuapuat cohabiter au bout de la route : entre communautés et territoire. Cahiers de géographie du Québec.
Guimond, L. et Desmeules, A. (2019). Des ponts interculturels à la rivière Romaine ? Développement nordique et territorialités innues. Québec, Presses de l’Université du Québec, Collection Géographie contemporaine.
Wooltorton, S., Guimond, L., Poelina, A., Reason, P. et Horwitz, P. (2022). Voicing Rivers. Numéro spécial. River Research and Applications, 38(3).
Légende de la photo en couverture
Les instigatrices du projet de recherche : Yvonne Mesténapéo, Nathalie Lapierre, Vicky Bellefleur et Laurie Guimond (crédit photo Tania Lara Casaubon)
Actualité scientifique
Pleins feux sur la recherche nordique | Une initiative de l'Institut nordique du Québec
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