deux scientifiques dans la neige pour détecter les lames de glace

Détecter les lames de glace

Publié le

Un article de Valérie Levée, journaliste scientifique

Elles sont localisées, subites et passent souvent sous le radar des prévisions météorologiques : les inondations hivernales. Elles sont pourtant appelées à se multiplier avec les changements climatiques. Pour les prévoir, il faut aller jouer dans la neige et en étudier les couches, comme le fait Michel Baraër, chercheur affilié à l'INQ et professeur au Département de génie de la construction de l’École de technologie supérieure.

Le point de départ des inondations n’est pas dans la rivière qui déborde, mais dans le manteau neigeux du bassin versant de la rivière. Or ce couvert de neige n’est pas uniforme, mais stratifié au gré des précipitations autant neigeuses que pluvieuses. 
Dans le couvert neigeux, la clé du déclenchement d’une inondation hivernale est la présence de lames de glaces. Celles-ci peuvent bien sûr se former lors d’une pluie verglaçante, mais même la pluie non verglaçante qui s’infiltre dans la neige au cœur de l’hiver va atteindre un niveau où elle gèlera pour former une lame de glace. De même lorsqu’un redoux fait fondre la neige en surface, l’eau qui percole pourra  geler.
Dans tous les cas, ces lames de glace sont imperméables. « S’il arrive un phénomène majeur de pluie sur neige, l’eau est bloquée par les surfaces imperméables. Elle s’écoule latéralement et est transportée comme sur une autoroute vers les ruisseaux et ensuite les rivières », explique Michel Baraër. Cet afflux d’eau venant du couvert de neige augmente le débit de la rivière, mais surtout, une partie de cet apport d’eau se faufile sous la glace. « Ça augmente la pression sous la glace et les points faibles de la glace servent de fusibles et la glace se brise », poursuit Michel Baraër. Des blocs de glace libres sont entrainés par le courant jusqu’à rencontrer un obstacle, comme un pont ou un rétrécissement de la rivière. C’est alors que l’embâcle se forme faisant barrage à l’écoulement de l’eau. La rivière déborde entrainant avec elle des blocs de glaces, qui augmentent le risque de dommages matériels. 

Variabilité temporelle et spatiale 

Les lames de glace ne sont pas stables dans le temps et évoluent au fil de l’hiver alors que les écoulements d’eau les grignotent et les érodent jusqu’à les faire disparaître avec l’arrivée du printemps. L’eau peut alors s’infiltrer dans le couvert de neige qui devient comme une éponge et ralentit le transport de l’eau vers la rivière. « On veut comprendre cette interaction entre le pack de neige et les écoulements, comment la structure du pack est affectée par les écoulements et comment le pack affecté va lui-même modifier les écoulements », explique Michel Baraër.
Même à une date fixe, la structure du couvert de neige varie d’un endroit à l’autre. Par exemple, dans un champ balayé par le vent, la neige est souvent dense et croutée alors que dans une clairière protégée par le vent, les flocons tombent tranquillement et forme un manteau plus épais, mais moins dense. « On sait que la structure du pack de neige est importante pour les écoulements d’eau, mais notre principale difficulté est l’hétérogénéité dans différents endroits du bassin versant », relève Michel Baraër.
Fautes de connaissances, tous ces phénomènes ne sont pas pris en compte dans les modèles numériques de prévision des inondations. Michel Baraër en a fait son cheval de bataille et avec son équipe de recherche, il veut comprendre les relations entre les phénomènes de redoux, la formation des lames de glaces, les interactions entre les écoulements et la structure du manteau neigeux, dans différents types de milieux, ouverts ou fermés, d’un bassin versant. 

La pelle et le radar
Le terrain d’expérimentation de Michel Baraër se trouve à Sainte-Marthe, près de Mont Rigaud. C’est là qu’armée d’une pelle, son équipe creuse des fosses dans la neige pour identifier les couches de neige, prélever des échantillons pour en mesurer, entre autres, la densité et la teneur en eau. Mais ces fosses ont un défaut : elles brisent les couches de neige, modifient les écoulements de l’eau et perturbent ainsi le phénomène. Michel Baraër s’affaire donc à développer une méthode d’observation non destructive à l’aide de radar. Il utilise une longueur d’onde à laquelle les couches de neige sont partiellement transparentes, c’est-à-dire qu’une partie des ondes rebondit tandis qu’une autre partie traverse la neige.  « À chaque discontinuité, quand il y a une couche différente, les propriétés sont différentes, il peut y avoir un rebond », explique-t-il. Les ondes rebondissent une première fois à la surface de la neige, le dernier rebond indique la surface du sol et les rebonds intermédiaires dénotent la présence de lames de glace.
Ces mesures sont faites dans en milieu forestier, dans des clairières et dans la plaine agricole. 
Il reste encore à faire le lien entre la structure du couvert de neige, la présence des lames de glace et les conséquences dans le ruisseau adjacent. Des capteurs sont donc également installés pour mesurer le débit de l’eau et estimer à quelle vitesse l’eau s’est écoulée du couvert de neige vers le ruisseau.

Avec ces études, Michel Baraër espère bien apporter les connaissances pour comprendre dans quelles circonstances une pluie hivernale va entrainer une inondation. « L'objectif ultime avec cette connaissance, espère-t-il, est d'avoir des modèles qui prennent en compte ces phénomènes pour dire qu'il y a un risque d'inondation hivernale dans cette région à tel moment parce qu’on sait qu'un épisode pluvieux arrive et que le pack de neige est dans une configuration qui est favorise les écoulements latéraux. »



Pour aller plus loin

Dharmadasa, V., Kinnard, C., et Baraër, M. (2023). Topographic and vegetation controls of the spatial distribution of snow depth in agro-forested environments by UAV lidar. The Cryosphere, 17 (3) 1225-1246
https://doi.org/10.5194/tc-17-1225-2023

Paquotte, A. et M. Baraër, M. (2022). Hydrological behaviour of an ice‐layered snowpack in a non‐mountainous environment. Hydrological Processes, 36 (1), e14433
https://doi.org/10.1002/hyp.14433

Valence, E., Baraër, M., Rosa, E., Barbecot, F., et Monty, C. (2022). Drone-based ground-penetrating radar (GPR) application to snow hydrology. The Cryosphere, 16 (9), 3843-3860
https://doi.org/10.5194/tc-16-3843-2022


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